Paredes Stéphane DESS TSNT 1999/2000

Ecriture interactive : R.D Jean-Pierre Poitou (1999), in Mémoire de la technique et techniques de la mémoire, " HISTOIRE DE LA MEMOIRE ARTIFICIELLE ", Editions ERES.

Dans cet ouvrage sur les mémoires de la technique et les techniques de la mémoire, j'ai choisi de développer ma réflexion à partir du texte de Jean-Pierre Poitou ; il y dresse rapidement un historique détaillé des différentes techniques de mémorisation ou de conservation du savoir que l'on nome les mnémotechniques. L'auteur limite volontairement son étude entre l'antiquité gréco-romaine jusqu'à l'Europe médiévale et moderne. Basant sa réflexion sur " les pratiques d'enregistrement de contenus textuels, à des fins de restitution orale ", il nous démontre comment des idéologies ont pu faire évoluer ces mnémotechniques.

Pour ma part, l'avis de Jean-Pierre Poitou sur la question de l'évolution des techniques de mémorisation soulève plus de questions qu'il n'en résout. En effet, il soutient l'idée qu'il existe depuis environ le cinquième siècle avant J-C, une conscience dans nos sociétés occidentales (en Grèce), de pouvoir conserver de l'information supplémentaire et de façon plus durable grâce à des techniques intellectuelles. Pierre Lévy englobent ces techniques dans ce qu'il nome " les technologies de l'intelligence ". Ces deux auteurs s'accordent sur ce point, toutes nouvelles technologies engendrent un bouleversement des comportements sociaux. En effet, la notion d'histoire, construite de manière chronologique comme nous l'avons constitué depuis l'antiquité, dépend étroitement de la perception que nous avons du monde. Cette perception est un héritage culturel qui dépend avant tout de notre représentation de l'espace et du temps. Or nos sociétés depuis quelques siècles, ont une vision du temps linéaire. On a donc construit une représentation du temps qui s'écoule de manière linéaire ; sur cet axe les événements " uniques " se succèdent de manière chronologique. Mais il en a pas été toujours de la sorte. Lors du stade de " l'oralité primaire " définit par Pierre Lévy comme une période antérieure à l'apparition de l'écriture, le temps était représenté de manière cyclique comme dans certaines sociétés africaines. Ce que je désire mettre en avant avec cet exemple, c'est un théorie à la fois développer par des auteurs comme Marshall Mc Luhan, Derrick de Kerckhove, Paul Virilio et Pierre Lévy, et qui affirme que toute technique est déterministe. Pour schématiser, ce n'est pas l'homme qui fait évoluer la technique, ce sont les nouvelles technologies qui font évoluer l'homme.

Dans la " Galaxie Gutenberg ", Marshall Mc Luhan démontre comment l'invention d'une technique, l'imprimerie, à radicalement changer le visage de l'Europe au Quinzième siècle, la faisant passer du moyen âge à la renaissance. Cette théorie sur les techniques déterministes me permet d'argumenter ma position face à Jean-Pierre Poitou. En effet, ce dernier base son analyse sur les mnémotechniques après l'apparition de l'écriture. Mais il ne tient compte à aucun moment de sa réflexion, de l'impact direct que cette technique peut avoir sur l'évolution des techniques de mémorisation artificielle. Pour Jean-Pierre Poitou, ces évolutions des mnémotechniques sont le fruit de changements idéologiques. Il n'établit pas directement de liens entre les mémoires artificielles et l'évolution de l'écriture puis de l'imprimerie qui sont elles aussi des " technologies intellectuelles ". Sa réflexion débute par un questionnement sur les techniques et les idéologies de la mémoire dans l'antiquité grecque. Il note que la première prise de conscience d'une mémoire artificielle provient d'un système d'aide mémoire que créa par hasard Simonide de Céos, 500 avant J-C. Nous sommes à cette époque déjà rentrer dans l'ère de l'écriture mais pas tout à fait sorti de la tradition orale. Les sociétés occidentales vacillent entre une culture orale fait de récits et de mythes qui permettent de conserver l'information prégnante, et une société basée sur l'écrit. Dans les sociétés oralistes primaires, c 'est à dire avant l'apparition de l'écriture, l'information est conservée dans des récits mythiques où l'on encode le message informationnel afin de le préserver. Cette passation de pouvoir entre la communication orale et écrite s'illustre bien dans le cas du théâtre grec.En effet, lors des représentations, le barde incarnait l'histoire, il en faisait la sienne. Il y avait une intériorisation des éléments extérieurs constitutifs du drame. De sorte que la spectateur assimilait le spectacle comme une histoire vécu par le barde. De ce fait, il devenait plus qu'un interprète, il incarnait la destiné de ces personnages.

En effet comme le souligne McLuhan " avant l'écrit, ce qui est connu est inséparable de ce qui est vécu ". En modifiant la relation du savoir au corps, une technique, le signe écrit, fait passer le théâtre antique de l'incarnation à l'imitation. Il symbolise cette passation de pouvoir entre l'oral et l'écrit, l'oral utilisant comme moyen de stockage de l'information, la mémoire. Celle-ci comme le souligne l'auteur, prend plus d'envergures et de moyens grâce aux mnémotechniques. Même si on peut désormais stocker de l'information hors de la mémoire des individus sur de supports stables tels que les tablettes. L'auteur remarque que l'utilisation de cet outil n'est pas très pratique d'utilisation car volumineux et très long à produire. Cette situation va changé avec l'apparition et le développement du papier. Au septième siècle, cette nouvelle technologie (le papier) permet une plus large diffusion de l'écrit. Cela a pour conséquence directe de changer et de complexifier les mnémotechniques qu'utilisaient les sophistes et les rhéteurs. Il y a un effet de concurrence entre deux moyens techniques, d'une part l'écrit qui est très rentable car il permet de conserver l'information sans la dénaturer, de l'autre, la mémoire artificielle que les rhéteurs perfectionnent, et qui est très économique, est relativement facile d'accès, n'étant pas soumis à un support physique. Pour concurrencer l'écrit, on va essayé de trouver des moyens de conservation très fiable au sein de le mémoire grâce à des stratagèmes tels que la représentation spatiale de l'information dans des lieux réels. Jean-Pierre Poitou développe cette technique dans la partie " les lieux de la mémoire ", il fait aussi référence à une autre stratégie qui consiste à la mise en scène de l'information . Contrairement à l'empreinte mnésique, la trace écrite est littérale. Les signes écrits sont d'une rigidité absolue, qui parfois rendent le message obscur pour le lecteur. Mais il contraignent à une fidélité à l'identique, ne subissant pas les déformations dues à ces élaborations mnémotechniques. La notion de vérité apparaît. Pour Bertrand Russel avec l'apparition de l'écrit " l'homme a assez d'esprit pour concevoir le ciel et assez d'orgueil obstiné pour créer l'enfer". L'auteur le note. On voit au moment de la Renaissance qui coïncide avec l'apparition de l'imprimerie (qui permet l'essor de la culture de l'écrit), le débat s'amplifie sur la rentabilité de ces mnémotechniques dans la conservation de l'information face à la technique de l'écrit. Ce débat avait vu le jour avec Platon dans Phèdre : lorsque le pharaon parlant de l'écriture déclare " ce n'est pas pour la mémoire, c'est pour la remémoration que tu as trouvé un remède un remède". Mais ce débat se clôt définitivement à la Renaissance.

Aujourd'hui, les mnémotechniques ne sont plus le support principal pour la rétention de l'information. l'individu a trouvé des moyens extérieurs à sa mémoire pour conserver l'information. Jean-Pierre Poitou conclut très justement sur ce qui sera la question principale des écritures interactives : " en quoi consiste donc l'activité cognitive, si mémoire et pensée se réduisent à la mise en œuvre de machines extérieures et toujours plus extérieures ? concevoir ces appareils, les piloter afin de restaurer et réactiver constamment les connaissances en fonction des nécessités de l'action ( ce que l'on peut appeler la gestion des connaissances constituent sans doute des taches assez complexes pour absorber toute notre énergie mentale ". Désormais le problème de l'écriture interactive n'est plus de conserver l'information ou de trouver des moyens de classification.

Aujourd'hui, on peut constater ce type de phénomène, vis à vis de la masse d'information à laquelle nous sommes soumis par de nouveaux média comme Internet . Le problème est désormais de savoir comment accéder à l'information. Les nouvelles technologies ont permis la constitution de base de données immenses mais insondable. Cette tour de Babel pose de nouvelles questions. Théodor Nelson avait préfiguré avec Xanadu ce type de problème. On sait conservé l'information, on sait la classifier dans de nouvelles architectures tels que les hypertextes mais face à la quantité d'information présente se pose la question de comment accéder à l'information. La nouvelle bataille intellectuelle qui s'engage, se fera certainement sur les moyens d'obtenir l'information (grâce par exemple aux moteurs de recherches, déjà présent sur Internet).