Analyse

CHAPITRAGE ET ECRITURE NON LINERAIRE 

Ce roman n'est pas écrit de façon linéaire. Il est segmenté du début à la fin en chapitres visuellement séparés par un court résumé de celui qui va suivre, mis en évidence par un changement de taille de police, d'alignement et de graisse de caractère.

Ces différents chapitres ne narrent pas la même histoire. On passe de personnages en personnages faisant connaissance avec les uns et les autres de façon complètement différente à chaque foi. Ce qui fait que le lecteur entre dans un nouveau chapitre par des moyens divers et variés, retrouvant quelques fois un personnage là où il l'avait laissé quelques passages auparavant comme s'il l'avait attendu ou alors le retrouvant ailleurs, sa vie complètement changée. Neal Stephenson, intègre ainsi une notion de temps dans l'écriture de ce roman, le temps du lecteur n'est cependant pas encore le même que le temps du roman, mais l'éloignement dans le livre de certains chapitres narrant la même histoire et leur évolution au sein celle-ci fait ressentir au lecteur une notion de temporalité. Comme si le temps qu'il avait passé à regarder les autres acteurs du livre l'avait empêché de voir l'évolution d'un personnage.

Chaque acteur represente sur l'arborescence narrative, une branche qui peu à peu va s'allonger. Chaque histoire relative à un personnage devient de plus en plus précise et riche en informations donnant à nouveau elle-même de petites ramifications. Cependant, au lieu de partir du tronc central et de s'en éloigner, Neal Stephenson fait l'inverse, la narration relative à un personnage commence loin du tronc et prend fin là où toutes les branches se rejoignent en un point névralgique, ce n'est que là, à la fin, que l'on comprend vraiment les différents enjeux qui existent et coexistent dans les différentes histoires. Ce n'est aussi qu'à la fin que l'écrivain associe plusieurs personnages(ou entités) dans un même chapitre les confrontant, les faisant dialoguer ou même agir de concert.

Cependant, les différentes histoires interagissent entre elles, l'action d'un personnage dans un chapitre qui lui est consacré va faire évoluer l'histoire d'un autre ou de plusieurs autres personnages comme une espèce de boule de neige qu'il ne maîtrise pas.

LE MANUEL D'EDUCATION POUR JEUNES FILLES

Comme son nom l'indique, ce livre est un livre éducatif. Quand Nell reçoit ce livre, elle n'a que quatre ans, elle ne sait pas lire. Mais chez les thètes ce n'est pas une obligation, l'éducation des enfants ne prime pas et les médiaglyphes (sortes de symboles, rappelant le système des idéogrammes) remplacent les textes courants. Nell seule face à ce livre va tout apprendre de lui comment réagir, comment agir dans des circonstances particulières, apprendre à lire, à écrire, à compter et d'autres choses encore plus complexes.

L'écrivain pose dans son livre et ceci de façon critique le problème actuel de l'éducation interactive. Il expose ses questionnements qu'il laisse sans réponse évidente, en simulant une expérience d'éducation interactive sur 4 types de petites filles avec le manuel. Elizabeth, Fiona, Nell, et l'armée des souris (les jeunes Han du Dr X). On voit que chacune va suivre une voie différente et que à la fin, c'est celle pour qui n'était pas fait le manuel qui aura le mieux apréhendé son enseignement. Tout cela bien evidement à cause de différents paramètres non maîtrisables.

La base narrative du manuel est un conte pour enfants dont la trame est empruntée aux frères Grimm. Il a été fabriqué pour suivre l'éducation de l'enfant jusqu'à l'âge adulte évoluant avec lui, testant ses acquis au fur et à mesure. Le livre, de par sa fabrication nanotechnologique possède d'énormes capacités inovantes telles que : la possibilité de ragir dans le livre, une illustration devient un film dans lequel l'enfant peut se promener et apprendre de nouvelles choses en agissant, le texte est lu à l'enfant par un racteur de la même façon que l'on pourrait lui lire une histoire avant de dormir, l'enfant peut demander au livre qu'il raconte une histoire en rajoutant des faits nouveaux, des nouveaux personnages, de nouveaux lieux... L'enfant peut aussi écrire sur le livre, prendre des notes...

Au fur et à mesure que l'âge de Nell avance, elle part à (travers le manuel) dans une aventure digne d'un conte de fées. Cette aventure dont elle est l'héroïne est parsemé d'étapes de plus en plus difficiles. Le texte n'est bientôt plus lu c'est elle qui doit lire l'histoire, et les ractifs deviennent de plus en plus difficiles. Nell a aussi la possibilité de revenir en arrière pour changer le cours de l'histoire en agissant différement. Le livre est toujours en mouvement et l'enfant apprend toujours. Ce livre, pourrait être comparé aux "Livres dont vous êtes le héro", avec des moyens technologiques bien plus avancés et un système de navigation apparenté à celui d'un CD Rom éducatif.

Ce manuel d'éducation est à rapprocher de la technique des Loci qu'utilisaient les philosophes grecs pour se rappeler d'un discours. Le livre (même sans interactivité) a remplacé pendant un certain temps cette technique de mémorisation, ici le manuel est la concrétisation de cette méthode. En effet, la jeune fille apprend chaque chose dans un nouveau lieu, grâce à une nouvelle aventure ce qui lui permet de placer les choses sur un chemin ponctué de nombreux lieux eux-même constitués d'une multitude de lieux. Par exemple, presque arrivée à la fin de son aventure, Nell se trouve dans le pays du Roi coyote, dans ce pays, se trouvent beaucoup de châteaux qui ne fonctionnent plus, et Nell, afin d'atteindre le château du Roi Coyote qui marquera la fin de son périple doit résoudre l'énigme qui se cache derrière chaque dysfonctionnement (ou bon fonctionnement) de ces châteaux. Toutes les énigmes ont un rapport avec les machines de Turing et plus elle avance, plus les énigmes sont difficiles et tant qu'elle n'a pas compris le fonctionnement de telle ou telle chose elle reste bloquée dans le château. La résolution de l'énigme est à comparer avec un système de validation des connaissances.

Tout au long du roman, l'écrivain plonge le lecteur dans le manuel de la même façon que Nell s'y plonge, c'est à dire que nous pouvons aussi lire les aventures de la Princesse Nell. Ce changement de support se matérialise par un changement de police. Il y a en fait deux livres en un. Mais on voit que finalement, le roman est lui aussi un conte : sa trame narrative en rassemble tous les éléments et le livre pourrait se terminer par "Et il vécurent heureux et eurent plein d'enfants..." et commencer par "C'est l'histoire d'une petite fille pauvre que ces parents battaient et qui est devenue princesse". Neal Stephenson par une habile mise en âbime de son récit principal plonge le lecteur dans la perplexité ce qui l'amène à se demander ce qu'il a vraiment lu.