1.II.a. La vision des futuristes

Pour ce mouvement artistique du début du siècle, la civilisation européenne était tirée vers le bas par le poids de son passé (Eglises, gouvernements, etc.) et l'art prisonnier de l'esthétique et du formalisme qui en résultait.

Marinetti, instigateur de ce mouvement, a rédigé un manifeste appelant l'art à rompre ses chaînes. L'artiste doit sortir du passé pour aller vers l'avenir. Il doit juxtaposer des éléments qui ne l'avaient jamais été et être irrespectueux tout comme l'est la technologie. Mais l'apport principal de Marinetti pour ce qui nous intéresse ici est l'introduction de deux notions : la simultanéité et le lyrisme multilinéaire.

La simultanéité se réfère à l'idée engendrée par la technologie que les objets, les personnes et les idées peuvent transcender les barrières physiques, temporelles et sociales et exister à côtés les uns des autres, c'est-à-dire la co-existence au sens littéral du terme.
Le lyrisme multilinéaire désigne la sensation esthétique induite par l'observation, la création ou la manipulation de ces éléments simultanés.

Les futuristes ont été beaucoup influencés par la technologie. Ils voyaient dans la révolution des transports et des communications la transcendance de l'espace et du temps favorisant l'échange d'idées et toute communication humaine en général. Ainsi le téléphone et la radio rendaient possibles à leurs yeux l'ubiquité de la voix humaine. Ils voyaient la fin du soi unique et l'émergence d'une multitude de soi naviguant au sein d'une multitude d'univers sociaux et culturels. La vie acquérait une multitude de niveaux différents qu'il était possible d'expérimenter simultanément. C'est ce sentiment de simultanéité que Marinetti a appelé lyrisme multilinéaire.

Ils ont brouillé la distinction entre art conscient et expression inconsciente par les juxtapositions fortuites qu'ils pouvaient observer partout. Ils ont travaillé au travers des médias en combinant haute et basse culture, en observant un sujet sous différents angles et en mettant des objets communs dans les musées. Ils se sont aventurés au-delà des frontières classiques grâce à la juxtaposition. Ils ont essayer d'appliquer les deux concepts de Marinetti et ont essayé de capturer le nouvel état d'esprit fruit de la technologie et de le présenter au monde. Il convient ici d'annoncer que l'attitude de Stansberry face au futurisme est relativement ambiguë : Il attendra le dernier chapitre pour évoquer la compromission du futurisme avec le fascisme.

Il est important pour l'auteur de noter que l'art le plus important du XXe siècle à découlé de ces concepts futuristes : cubistes, Warhol… Cette influence se retrouve également dans la littérature qui s'est efforcée d'explorer les multiples couches de la conscience en utilisant des points de vue différents, des pastiches et des juxtaposition. C'est le cas de Faulkner, Virginia Woolf et Joyce, entre autres. L'avant-garde littéraire des années 1980 était ainsi obsédée par l'idée de faire voler en éclats la narration classique en insistant sur les réalités parallèles multiples. C'est ce même esprit que l'on retrouve dans certaines installations.

Il est évident que beaucoup de ces éléments - point de vue, juxtaposition, angle de perception - sont des éléments inhérents au multimédia et sont à sa base. Ceci découle directement de la nature de la présentation de l'information en environnement informatique. Ainsi pour Stansberry, l'arrangement multilinéaire d'éléments est inhérent à la présentation d'éléments dans un format interactif tout comme si l'ordinateur n'était autre chose qu'une manifestation de l'esprit futuriste. Mais il ne faut pas oublier pour autant que l'ordinateur est le fruit de l'attaque scientifique contre la physique newtonienne et contre son déterminisme mathématique sous-tendant la structure de l'univers.

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