2.I.a. La vision obscure du futurisme
La vision duale de la technologie comme porteuse de bienfaits et de malheurs puise son origine dans la conscience humaine : la peur et l'émerveillement devant l'inconnu s'y retrouvent à un niveau quasi-mystique. Si l'auteur retrouve l'émerveillement devant la technologie dans le travail des futuristes il révèle malgré tout un côté plus sombre. Au moment de l'écriture du manifeste futuriste (1909), l'Europe se dirigeait vers la Première Guerre mondiale. Il existait une véritable volonté de rompre avec l'héritage du passé et une purge apparaissait nécessaire à certains dans la mesure où elle était dictée par une révolution de la conscience et de la pensée provoquée par l'essor de la technologie. Dans ce contexte, la guerre était la bienvenue. Les futuristes partageaient ainsi une véritable fascination pour la guerre, reprise par beaucoup de leurs successeurs comme Apollinaire, Cendrars ou Dada mais sur un autre ton car il avaient vécu ses horreurs.
C'est à ce moment de son analyse que Stansberry fait intervenir tardivement un élément dont il semble qu'il aurait du en discuter dès le début de son ouvrage. En effet, ce n'est qu'à la fin de ces quelques 220 pages, et après s'être longuement attardé sur le mouvement futuriste qu'il en révèle un aspect peu glorieux. Le futurisme a beaucoup influencé le fascisme italien et s'en est nourri. Cette fascination réciproque est selon lui due au fait qu'un projet commun d'association du grand capital industriel avec le gouvernement devait pouvoir générer un ordre social stable. Selon lui le fascisme aurait également inspiré des modèles d'organisation industriels comme celui de Henry Ford et n'aurait été perçue commue négatifs par ses contemporains qu'au moment de son alliance avec Hitler.
Cette façon de penser apparaît à l'analyse assez intenable pour plusieurs raisons. Tout d'abord l'aura du fascisme n'était pas celle qu'affirme Stansberry : il suscitait au contraire l'inquiétude des gouvernements et d'une frange importante de l'Europe. De plus cette association avec le grand capital est un élément assez tardif du fascisme qui n'est au départ qu'un socialisme nationaliste et revanchard qui effrayait en premier lieu les industriels. Ce mariage a été le fruit d'un opportunisme mutuel dans un but de sauvegarde et non d'un projet commun.
Certes le futurisme et le fascisme italiens avaient cet espoir d'un homme nouveau, mais ce qui les a dans un premier temps rapproché est plutôt une fascination du mouvement, artistique pour l'un, social pour l'autre. Comme tout totalitarisme, le fascisme et son idée de transformer l'homme était contraint de se réfugier dans le mouvement dans la mesure ou il niait l'essence même de l'homme. L'homme n'avait d'existence qu'au travers du corps social et n'existait pas en tant qu'individu. Le mouvement du corps social entretenu sans relâche était le seul moyen d'entretenir l'illusion que générait le fascisme pour que celui-ci ne se retrouve pas vidé de sa substance. Et nous connaissons l'issue funeste de cette idée de mouvement qui finit par se réfugier dans la paranoïa et devint psychotique : le stalinisme et le nazisme sont deux exemples que nous à donné le XXe siècle. Tout totalitarisme est contraint de se réfugier dans le mouvement. Il est inexact, et même dangereux, d'affirmer que le fascisme est devenu funeste lors de sa rencontre avec l'hitlérisme : il était intrinsèquement totalitaire et contraint à cette issue dès lors qu'il se fondait sur le mouvement. Or c'est précisément cette idée de mouvement qu'admiraient les futuristes qui l'ont exalté et qui ont exalté la guerre dont le fascisme se voulait le porteur. Leur compromission est dès lors complète car s'il pouvaient être abusés sur le premier point ils étaient parfaitement conscients du second.
Stansberry perçoit ces éléments et cette violence indicible du futurisme mais ne les envisage pas sous le bon angle : celui de la responsabilité. Il n'y voit qu'une conséquence des contradictions et de la violence inévitable de toute existence humaine.
Selon Stansberry on retrouverait les mêmes ambiguités dans la pensée humaine dans les attitudes opposées qui dominent le débat actuel sur les médias interactifs.